L'observation astronomique en infrarouge
I. Place à part de l'Astronomie
L'astronomie occupe dans le domaine des sciences
une place unique dû à une particularité qu'elle
est seule à posséder : il n'est pas possible d'agir sur
l'objet que l'on étudie. On ne peut qu'observer. Et cette observation
se fait par le moyen d'un seul phénomène physique. Toute
l'information que nous possédons sur l'Univers qui nous entoure
nous vient de la lumière que nous en recevons (à quelques
très rares exceptions près concernant les planètes
du système solaire sur lesquelles des instruments automatiques
ont été déposés).
II. La lumière
Précisons, en quelques mots ce qu'est
la lumière. C'est un phénomène vibratoire - c'est
donc une onde - désigné par les physiciens sous le nom
de 'rayonnement électromagnétique'. Rayonnement car, à
partir de la source, la lumière se répand dans tout l'espace
de façon uniforme. Et électromagnétique, car ce
rayonnement est composé de deux grandeurs physiques, l'une qui
est un champ électrique et l'autre un champ magnétique.
Ces deux grandeurs sont inséparables dans la lumière et
interagissent l'une sur l'autre en permanence, ce qui provoque l'oscillation
et la propagation, à une vitesse très voisine de 300.000
km/s (fig. 1).
Une des grandeurs physiques les plus importantes
qui caractérisent un phénomène vibratoire est la
longueur d'onde. C'est la distance parcourue par l'onde pendant
le temps d'une oscillation complète.
Les scientifiques utilisent souvent une autre
grandeur appelée la fréquence. Celle-ci est le nombre
de vibrations qui se produisent dans l'intervalle de temps d'une seconde.
C'est donc une grandeur inverse de la longueur d'onde. Plus la longueur
d'onde est importante et moins la fréquence est élevée
(et réciproquement).
Nous venons de dire que la lumière a
une longueur d'onde. Il serait plus exact de dire qu'elle en a une infinité.
En effet cohabitent dans la lumière toutes les longueurs d'onde
comprises entre deux valeurs généralement assez éloignées
l'une de l'autre et qui dépendent de la nature du phénomène
responsable de l'émission. Ainsi, par exemple, dans la lumière
visible, on trouve toutes les longueurs d'onde comprises entre 0,4 et
0,8 micromètre (millième de millimètre).
L'ensemble du domaine des longueurs d'onde
est extrêmement vaste et s'étend depuis les ondes radio
(les grandes ondes de ce domaine ont des longueurs d'onde de l'ordre
du kilomètre) jusqu'au domaine des rayons gamma (rayonnement
émis par les noyaux des atomes) avec des longueurs d'onde de
l'ordre du millionième de millimètre. Il n'y a aucune
discontinuité dans ce domaine ni différence de nature :
il s'agit partout du même phénomène d'émission
électromagnétique. La seule chose qui diffère,
en fonction de la longueur d'onde, est la nature du phénomène
responsable de l'émission (fig. 2)
A chacun de ces domaines de longueur d'onde,
il sera nécessaire, pour leurs observations, de mettre en 'uvre
des moyens spécifiques. Dans tout ce qui suit, nous nous limiterons
au domaine infra rouge.
III. La configuration instrumentale type.
L'astronomie est multiple. Il n'y a pas une
astronomie mais des astronomies. Ceci est vrai, aussi, du point de vue
instrumental. Dans tous les cas, cependant, il y a une chose qui ne
variera pas dans les équipements instrumentaux, c'est l'association
de trois matériels, un collecteur, un dispositif d'analyse et
un détecteur.
1. Le collecteur
Le collecteur est, comme son nom l'indique,
un instrument destiné à collecter la lumière. Ce
sont les lunettes astronomiques d'autrefois et aujourd'hui les télescopes.
Plus la lentille ou le miroir est grand et plus la quantité de
lumière reçue est importante, ce qui permet de voir des
objets de plus en plus faibles. Le premier de tous les collecteurs qui
ait existé sur cette planète est l''il humain. C'est parce
que sa pupille est vraiment très petite que l'on a cherché
(et réussi grâce à Galilée) à la remplacer
par autre chose.
Galilée a réalisé la première
lunette astronomique à la suite de la découverte des propriétés
des lentilles en verre. Les lunettes ont été couramment
utilisées jusqu'au début du XXème siècle.
Elles ont ensuite été supplantées par les télescopes
(voir plus loin).
2. Le dispositif d'analyse
C'est lui qui va isoler le paramètre
à mesurer. Il existe des dispositifs d'analyse standards
utiles à de nombreux chercheurs comme, par exemple, les spectrographes.
A côté de ces appareils standards, d'autres appareils sont
développés, généralement par les équipes
qui vont les utiliser, pour effectuer une observation bien particulière.
A titre d'exemple, on peut citer tous les photomètres construits
pour les observations de phénomènes exceptionnels tels-que
les occultations d'étoiles par des objets proches de nous, généralement
des objets du système solaire. Standard ou non, le dispositif
d'analyse est toujours un instrument complexe et coûteux car il
doit être très performant, donc travailler à la
limite des performances de ses composants.
3. Le récepteur.
Le récepteur est placé derrière
le dispositif d'analyse et mesure le paramètre sélectionné
par celui-ci. Le premier récepteur utilisé fut, pour des
raisons évidentes, l''il. Notons son principal défaut,
il n'est pas impersonnel ce qui signifie que chaque observateur interprète
' inconsciemment ' ce qu'il observe.
Avec l'invention de la photographie, l'astronomie
dispose d'un tel récepteur. La plaque photographique possède
sur l''il bien d'autres avantages. On peut faire des poses, c'est-à-dire,
accumuler de l'énergie dans les grains d'argent, ce qui donne
accès à l'observation d'objets beaucoup plus faibles.
Il n'est pas rare d'avoir des poses de plusieurs heures. Ceci est impossible
pour l''il qui travaille de façon instantanée. Cet avantage
est particulièrement décisif en spectrographie où,
à cause de la dispersion de la lumière en un grand nombre
de longueur d'onde, on a, en chaque point de la plaque, beaucoup moins
de lumière. Enfin on dispose d'un résultat d'observation
mémorisé. On peut revenir au résultat d'une observation
aussi souvent qu'on le désire.
Mais la plaque a aussi ses inconvénients.
Elle ne fournit pas directement des grandeurs numériques. Il
y a donc, dans la chaîne de traitement, une étape nécessaire
pour obtenir le tableau de nombres auquel toute observation doit aboutir.
Cette étape était réalisée à l'aide
d'un appareil appelé microphotomètre. Il était
constitué d'un spot (source ponctuelle) lumineux que l'on déplaçait
au dessus de la plaque et d'un récepteur placé en dessous
de la plaque, en face du spot, qui mesurait la variation de la lumière
transmise à chaque instant par la plaque. Ce récepteur
transformait les variations de lumière qu'il voyait en courant
électrique et ce courant était enregistré sous
la forme d'une courbe. Une dernière étape était
la conversion de cette courbe en nombres. Différentes techniques
ont été successivement utilisées, la plus ancienne
et aussi la plus rudimentaire étant le double-décimètre.
Autre défaut de la plaque photographique,
son incapacité à enregistrer loin dans l'infrarouge.
Tous ces défauts ont trouvé une
solution dans un récepteur moderne connu sous le nom de C.C.D
(ce qui signifie, en anglais, Coupled Charge Device et que l'on peut
traduire par 'dispositif à couplage de charge'). Vous voilà
bien avancé! De quoi s'agit-il ? Un CCD est, comme
la plaque photographique, un récepteur bidimensionnel, destiné
à l'imagerie. Les grains d'argent sont remplacés par de
minuscules récepteurs à semi conducteur appelés
pixels. Chaque pixel enregistre chaque grain de lumière qui arrive
sur lui sous forme de charge électrique. Comme avec la plaque
photographique, il est donc possible de faire des poses. Les pixels
sont disposés comme les cases d'un échiquier en rangs
et en colonnes. Le nombre total de cases peut être très
grand : les CCD d'un million de pixels sont aujourd'hui courants. Ces
pixels ont une très grande sensibilité et peuvent également
supporter, sans dommage, des éclairements importants. La grande
force des CCD est leur souplesse d'utilisation. En effet, est inclu
dans le CCD, sous forme de circuits intégrés, toute l'électronique
qui permet de 'lire' le nombre de charges de chaque pixel. Cette lecture
est faite ligne par ligne et les valeurs correspondant à chaque
pixel sont enregistrées sur un disque d'ordinateur. L'exploitation
des données d'observation est ainsi immédiatement possible.
Pour toutes ces raisons, les CCD ont, aujourd'hui, pratiquement remplacé
tous les autres récepteurs.
A côté des récepteurs bidimentionnels
destinés à faire des images dont nous venons de parler,
il existe une autre catégorie fort importante, celle des récepteurs
qui servent à enregistrer un paramètre qui varie au cours
du temps. Dans cette catégorie, on trouve les bolomètres.
Les bolomètres sont des sortes de thermomètres de luxe.
Ce sont des récepteurs d'une extrême sensibilité.
On comprendra mieux ceci quand on saura que les bolomètres sont
sensibles à l'élévation de la température
provoquée par la lumière qu'ils reçoivent des étoiles.
Ces récepteurs servent, par exemple, à enregistrer au
cours du temps les variations de l'éclat de certaines étoiles
appelées précisément des étoiles variables.
IV. Les différents types d'observation
Ils sont très nombreux. On peut cependant les regrouper en trois
types principaux.
Il est toujours intéressant et instructif
de voir à quoi ressemblent les objets célestes qui nous
entourent. C'est le but de l'imagerie astronomique. Bien sûr,
celle-ci doit pouvoir être utilisée à des fins scientifiques.
Elle doit donc se soumettre à des critères très
stricts. Puisque nous avons déjà parlé de la longueur
d'onde, précisons l'un de ces critères. Le domaine de
longueur d'onde dans lequel sera réalisée l'observation
devra être défini de façon précise afin de
ne pas mélanger les phénomènes physiques que l'on
cherchera à atteindre au moyen de l'observation. Généralement,
ce domaine de longueur d'onde devra être assez restreint. On l'isolera
au moyen de filtres, appropriés au domaine choisi.
Indiquons, également, que le récepteur
devra lui aussi être adapté au domaine choisi.
Un autre type d'observations concerne toutes
celles qui ont pour but l'étude d'objets dont la luminosité
varie avec le temps. Les échelles de temps peuvent être
très différentes, allant d'une fraction de seconde à
plusieurs jours. Ici, on ne cherche plus à obtenir une image
mais la valeur, à chaque instant, du flux d'énergie total
rayonné par l'objet. Dans ce type d'observation, on fait porter
tous ses efforts sur la grande précision de la mesure. Le récepteur
utilisé dans ce type d'observations est un 'bolomètre',
système de très grande sensibilité capable de mesurer
l'élévation de température engendrée par
le flux à mesurer.
Enfin, comme nous l'avons déjà
mentionné, on peut chercher à sonder, grâce à
la spectroscopie, ' nous verrons plus loin comment ' la matière
même des étoiles, des galaxies ou de tout autre objet stellaire.
Dans ce but, tous les grands télescopes sont depuis longtemps
équipés de puissants spectrographes optimisés,
à la fois pour le télescope auxquels il sont dédiés
et pour de nombreux domaines de longueurs d'onde. Ici aussi le détecteur
doit être adapté au domaine de longueur d'onde.
V. Le domaine infrarouge
Ce qui suit ne concernera que le domaine infrarouge.
En effet, le domaine visible a été abondamment étudié
puisqu'il a été longtemps le seul auquel nous ayons eu
accès - on ignorait même, autrefois l'existence des autres
- Je n'en parlerai donc pas. Le domaine radio fait appel aux techniques
des oscillateurs à très courte longueur d'onde pour lesquelles
je n'ai aucune compétence. Il en est de même des domaines
des rayons X et gamma.
1. La loi de Planck
La grande loi physique qui est prépondérante
dans ce domaine est la suivante : Tout corps chauffé émet
un rayonnement électromagnétique bien défini, dans
un ensemble de longueurs d'onde qui ne dépend que de la température.
Dite sous cette forme, tout physicien digne de ce nom est autorisé
à hurler. Mais, pour notre propos, elle nous conviendra parfaitement.
Par contre il est impératif de définir ce que nous entendons
par température. Il ne s'agit pas des températures de
la vie quotidienne, dont le zéro est défini comme la température
de la glace fondante et le 'cent' comme la température de l'eau
à l'ébullition. Il s'agit de températures absolues
mesurant le degré d'agitation des molécules composant
le corps considéré. Dans cette échelle de température,
le zéro des températures ordinaires correspond à
273 degrés absolus que l'on note 273 °K et que l'on prononce
K ou Kelvin.
Pour chaque valeur de la température,
cet ensemble de longueurs d'onde est représentable par une courbe
qui a grossièrement la forme d'un chapeau de gendarme d'autrefois.
Elle part de la valeur zéro pour une valeur de la longueur d'onde,
croit jusqu'à une valeur maximum puis décroît, plus
rapidement qu'elle a cru, pour retourner à la valeur zéro
à une autre valeur de la longueur d'onde supérieure à
la précédente. La valeur du maximum augmente si la température
augmente et la position de ce maximum se déplace alors vers les
longueurs d'onde plus courtes.
Dans le domaine visible, donc pour notre 'il,
l'impression sur la rétine sera grossièrement celle de
la couleur correspondant au maximum de la courbe. Si nous observons
attentivement le ciel à l''il nu nous constatons que certaines
étoiles apparaissent rouges alors que d'autres semblent être
franchement bleues. De ce que nous avons dit précédemment,
nous pouvons conclure que les étoiles bleues sont plus chaudes
que les rouges (puisque le bleu a une plus courte longueur d'onde que
le rouge) (fig. 3).
Cette courbe et la loi qu'elle représente,
ainsi que la fonction qui exprime cette loi sont connues sous le nom
de 'loi de rayonnement du corps noir'. Sous sa forme définitive,
elle a été découverte par le physicien allemand
Max Planck (1858-1947) pour laquelle il obtint, en 1918, le Prix Nobel
de physique. Cette loi contient une constante, désignée
par la lettre 'h', appelée constante de Planck, qui est une des
cinq ou six constantes les plus importantes de toute la physique.
2. Les contraintes que nous impose la loi
de Planck.
Revenons à nos observations. Nous disposons
d'un télescope et d'un récepteur qui peut être,
par exemple, une caméra destinée à faire de l'imagerie.
Notre programme est l'observation dans l'infrarouge. Notre télescope
est sur terre en un lieu où la température extérieure
est, disons, voisine de zéro. Sa température absolue est
donc de 273°K. Et c'est ici que les difficultés commencent.
Car, à cette température, le télescope rayonne
(il brille) de l'énergie dans un domaine de longueurs d'onde
qui est précisément celui dans lequel nous voulons travailler.
Le télescope et également tout ce qu'il y a autour de
lui, la coupole et le ciel (l'atmosphère). Et également
le récepteur.
3. Les moyens de s'en affranchir
Que faire ? Prenons les problèmes un
par un. Le récepteur est placé dans un cryostat; c'est
une enceinte très particulière qui permet de maintenir
à très basse température les équipements
qu'elle contient. En astronomie, on utilise des cryostats refroidis
à l'hélium liquide. On obtient ainsi les plus basses températures
que l'on sache faire de façon relativement simple, quelques degrés
K seulement. A ces températures, le rayonnement propre du récepteur
n'introduit plus aucune gêne, mais l'utilisation d'un tel cryostat
entraîne une importante complication.
Le télescope ? S'il est possible de
placer un récepteur de quelques millimètres de côté
dans un cryostat, il n'en va pas de même d'un télescope
pesant plusieurs dizaines de tonnes. On lève la difficulté
en construisant des télescopes dont la configuration optique
est telle, que la seule chose que 'voit' le récepteur est le
ciel. Tout rayonnement dû au télescope est ainsi éliminé.
Remarquons tout de même que, là, le résultat n'est
pas aussi parfait que pour le cas du récepteur. Il reste dans
le champ des éléments impossibles à masquer comme
l'araignée qui maintient en place le miroir secondaire du télescope.
Faute de pouvoir faire autrement, et parce que l'énergie rayonnée
par ces éléments est faible on se contente de cette solution.
C'est un bon exemple des compromis que l'observateur est obligé
de faire pour avancer. Il ne faudra pas oublier, au moment de l'analyse
des résultats, que ce compromis introduit une erreur à
prendre en compte.
Le ciel aussi rayonne de l'énergie que
voit le récepteur. Celle-ci s'ajoute à l'énergie
de l'objet observé. On pourrait donc penser la mesurer une fois
pour toute en observant le ciel à côté de l'objet
en dépointant légèrement le télescope pour
que cet objet sorte du champ. Ceci ne nous servirait à rien car
le rayonnement propre du ciel fluctue rapidement et sa mesure est à
faire en permanence. On a résolu ce problème en faisant
vibrer le miroir secondaire de façon qu'il passe de la configuration
'objet dans le champ' à la configuration 'objet hors du champ'
quelques dizaines de fois par seconde. On a ainsi, dans une des positions,
le flux du ciel seul et dans l'autre, la somme des flux de l'objet à
observer et du ciel. Une électronique spécialement prévue
à cet effet retranche automatiquement le flux dû au ciel.
On fait alors ce que l'on appelle de la 'détection synchrone'.
VI. Le pouvoir de résolution.
Arrivé à ce stade, on pourrait
avoir l'impression d'avoir levé toutes les difficultés
d'ordre instrumental qui se présentent à nous. Nous allons
nous apercevoir que non en examinant une autre question, à savoir,
celle du pouvoir de résolution.
1.
Le pouvoir de résolution
Qu'est-ce que le pouvoir de résolution
? Prenons un exemple. Si vous regardez la lune à l''il nu, vous
ne distinguez que quelques détails, ceux qui correspondent, sur
la lune, aux structures les plus importantes. Avec une paire de jumelles,
vous avez accès à des détails que vous ne voyiez
pas à l''il nu. Et avec un petit télescope encore d'avantage.
On dit que la paire de jumelles et le télescope ont des pouvoirs
de résolution de plus en plus élevés.
'Résoudre' deux détails c'est
pouvoir les distinguer comme deux éléments bien séparés.
Le pouvoir de résolution est une notion
qui n'intervient pas seulement en imagerie, mais dans tous les domaines
de l'observation. Un spectrographe, dont la fonction est de séparer
les différentes longueurs d'onde d'un rayonnement, aura un pouvoir
de résolution d'autant plus élevé, qu'il pourra
séparer deux longueurs d'onde plus proches l'une de l'autre.
Nous avons vu, au début, que pour accéder
à des objets très faibles, il était nécessaire
d'avoir des collecteurs équipés de très grands
miroirs. Les très grands miroirs ont un autre avantage, ils donnent
des pouvoirs de résolution supérieurs. Examinons un peu
ceci en détail.
2.
Le profil instrumental
Parce que la lumière est une onde, la
théorie nous indique - et l'observation le confirme - que l'image
d'un point, une étoile, n'est jamais un point mais une petite
tache circulaire dont le centre se trouve à l'emplacement géométrique
de l'image du point. Et le diamètre de cette tache dépend
de la taille du miroir. Plus celui-ci est grand et plus la tache est
petite. L'information contenue dans cette 'image' a une très
grande importance. En effet elle traduit de quelle façon le télescope
(et plus généralement l'instrument d'observation) voit
un point. Pour cette raison on la désigne sous le nom de profil
instrumental. Avec un grand miroir, on peut donc distinguer des
détails plus fins qu'avec un petit. C'est une chose suffisamment
rare en physique pour être signalée que la variation d'un
paramètre (le diamètre du miroir) entraîne la variation
dans le sens de l'amélioration de deux grandeurs observables
(le flux limite observable et le pouvoir de résolution) (fig.
4).
De la connaissance du profil instrumental,
on peut (dans une certaine mesure) 'remonter' à l'image vraie
grâce à une opération mathématique appelée
la déconvolution. Cette technique nécessite l'usage de
puissants ordinateurs.
3.
La turbulence atmosphérique
Nous devrions donc être pleinement heureux.
Il n'en est rien, car il s'agit de performances théoriques. S'il
est vrai que le flux observable augmente indéfiniment avec le
diamètre du miroir, le pouvoir de résolution, lui, atteint
rapidement un plafond dû à une autre cause de limitation.
Entre l'étoile et le télescope au sol, se trouve une couche
gazeuse d'une dizaine de kilomètres d'épaisseur qui constitue
l'atmosphère terrestre. Cette atmosphère est le siège
de mouvements turbulents complexes qui ont pour effet de déformer
les ondes lumineuses qui arrivent sur le télescope, ce qui entraîne
une agitation permanente de l'image au foyer du télescope, agitation
qui se traduit par un élargissement de la tache théorique
de l'image de chaque point. Le seul moyen de s'en affranchir est de
se placer en dehors de l'atmosphère. C'est ce qu'ont fait les
chercheurs aux Etats-Unis avec le télescope spatial. Nous reviendrons
sur cette question un peu plus loin.
Sur terre, nous devons donc composer avec la
turbulence atmosphérique. Pendant longtemps, les astronomes n'ont
pu que subir, choisissant de ne retenir que les observations faites
quand cette turbulence était la plus faible. Ensuite, on s'est
aperçu que tous les sites géographiques n'étaient
pas égaux face à la turbulence. En particulier, les sites
en altitude et surtout sur des sommets isolés, en éliminant
les couches les plus bases de l'atmosphère, donc les plus turbulentes
car les plus voisines du sol qui dégage la chaleur emmagasinée
pendant la journée, offraient de bien meilleures conditions d'observation.
C'est à partir de cette constatation que Jules Janssen eut l'idée
d'installer dans les Pyrénées, au Pic du Midi de Bigorre,
un observatoire astronomique qui reste encore aujourd'hui, un excellent
site d'observation.
Pour combattre efficacement la turbulence atmosphérique
il fallait d'abord bien la connaître. Les astronomes s'y sont
employés pendant de très nombreuses années et ont
fini, à force d'efforts, par en avoir une représentation
assez précise. Très schématiquement, on considère,
qu'au voisinage du sol, sur une épaisseur de quelques dizaines
de mètres, l'atmosphère est constituée de globules
de gaz d'environ 25 à 30 centimètres de diamètre
relativement homogènes et dont la durée de vie est de
l'ordre de quelques dixièmes de seconde. Cette dimension des
globules est d'ailleurs bien mise en évidence par les télescopes
d'amateur dont les miroirs ont sensiblement cette taille et qui sont
beaucoup moins sensibles à la turbulence que les collecteurs
de taille supérieure. Quant à la durée de vie,
on peut en avoir une idée en faisant, sur une étoile brillante,
des poses très courtes qui 'figent' l'image au foyer du télescope.
4. L'optique adaptative.
La réponse à la turbulence atmosphérique
et les moyens mis en 'uvre pour s'en affranchir sont connus sous le
nom d'optique adaptative. Cette technique toute récente
a été développée dans plusieurs observatoires
dont l'Observatoire de Paris qui a mis au point, pour le compte de l'E.S.O,
un tel système fonctionnant actuellement de façon régulière
sur le télescope de 3,60 m de la station d'observation de La
Silla au Chili. Les résultats obtenus ont tout de suite été
à la hauteur des espoirs que l'on avait placés dans ce
système. Dans les meilleurs cas, le gain en pouvoir de résolution
peut atteindre un facteur 20. Indiquons enfin que l'Observatoire de
Paris est impliqué dans l'étude et la réalisation
du système devant équiper le VLT actuellement en phase
finale de sa construction, au Chili.
En quoi consiste l'optique adaptative ? Le
principe est très simple, la réalisation infiniment complexe.
La lumière arrivant sur le télescope est altérée
par la turbulence atmosphérique : sa surface d'onde n'est plus
plane mais irrégulière (Turbulent wavefront). On l'envoie
(light from the telescope) sur un miroir déformable (deformable
miror) auquel on applique des déformations inverses de
celles de la surface d'onde de façon qu'après réflexion
sur ce miroir, elle retrouve sa planéité. Tout le problème
revient donc à savoir quelles déformations il faut appliquer
au miroir. Puisque les déformations doivent être inverses
de celles de la surface d'onde, on les obtiendra en analysant la surface
d'onde. On prélève donc une petite partie de la lumière
à l'aide d'une lame semi réfléchissante (dichroic
plate) et on l'envoie sur un dispositif qui analyse la surface (d'onde)
en 32 points différents (wavefront sensor). Ce dernier adresse
alors à un ordinateur (control system) la carte des déformations
et celui-ci calcule la valeur des signaux électriques à
envoyer à 32 points homologues du miroir pour le déformer.
(fig. 5).
Imaginons qu'à un instant donné,
le système corrige parfaitement la surface d'onde. Arrive une
petite déformation. Le dispositif d'analyse la voit immédiatement
puisqu'elle n'a pas été corrigée. Il envoie donc
un signal de correction au calculateur qui calcule les signaux nécessaires
à la correction.
Pour que le système marche, il faut
donc que le cycle 'détection d'un défaut ' analyse ' calcul
et correction' soit beaucoup plus court que le temps moyen d'évolution
de la turbulence. Ceci n'est possible qu'avec des calculateurs ultra
rapides. De tels calculateurs ne sont pas programmés mais construits
spécialement pour une tache bien définie.
Même avec de tels calculateurs, il ne
faut pas que la turbulence devienne trop grande. Sinon le système
'décroche' et l'observation est perdue. On voit donc que même
équipé d'un système d'optique adaptative, on a
tout intérêt à installer un télescope dans
un bon site.
Un tel programme n'a été réalisable
que grâce à un concours de circonstances tout à
fait remarquable.
- les ordinateurs ont acquis des puissances de calcul
suffisantes : en effet tout le calcule doit être effectué
au moins vingt fois par seconde. Or les 32 points d'analyse de la surface
d'onde et donc les 32 points d'épreuve sur le miroir ne sont
pas indépendants les uns des autres. Il faut faire intervenir
l'interaction qu'ils ont les uns par rapport aux autres, ce qui augmente
énormément le nombre d'éléments à
calculer. Dans la pratique, c'est 32 x 32 = 1024 calculs qu'il faut
effectuer en 1/20ème de seconde soit 20480 calculs par seconde.
Et chaque calcul porte sur 6 grandeurs différentes. C'est donc
au total plus de 120.000 calculs par seconde qu'il faut effectuer.
- les techniques d'asservissement sont arrivées
à un niveau de fiabilité et d'efficacité suffisant
pour permettre de telles réalisations sans être à
la limite des possibilités.
- Enfin et surtout, les astronomes avaient
réussi à se faire une idée précise de ce
qu'est la turbulence atmosphérique.
La figure 6 illustre de façon saisissante
l'avantage que procure ce système. Il s'agit de l'observation
d'une étoile double (binary star) de magnitude 13,1, c'est-à-dire
pratiquement à la limite de détection pour un télescope
de 2 mètres, observation faite, avec une turbulence atmosphérique
de 1,7 seconde d'arc, au télescope de 3,60 m de La Silla. Le
champ affiché sur ce document est un carré de 4 secondes
d'arc. A droite, l'image que l'on obtient avec le système d'optique
adaptative débranché. C'est l'image obtenue avec n'importe
quel télescope classique. A gauche, la même image obtenue
avec le système d'optique adaptative en action. On peut réellement
dire que sans optique adaptative nous sommes quasiment aveugles. A droite,
le pouvoir de résolution est celui imposé par la turbulence
atmosphérique, soit 1,7 seconde d'arc. A gauche, il est de l'ordre
de 0,12 sec. d'arc.
5. Le télescope spatial.
Pour finir, revenons sur le cas très
particulier du télescope spatial dont le nom exact est Hubble
Space Telescope (H.S.T) du nom du célèbre astronome américain
qui le premier compris que l'Univers est en expansion.
C'est évidemment une bonne réponse
à un certain nombre de contraintes inhérentes à
l'observation astronomique au sol.
La plus importante est la capacité à
s'affranchir totalement et définitivement de la présence
de l'atmosphère. Rien n'est jamais aussi parfait que l'élimination
de la cause d'un ennui. Ici, on tire bénéfice de cette
situation à trois niveaux. Pas de turbulence donc pouvoir de
résolution égal au pouvoir théorique. Pas d'atmosphère
donc pas de rayonnement parasite en infrarouge. Et encore, pas d'atmosphère
donc pas d'extinction atmosphérique (absorption d'une partie
de la lumière par les molécules des gaz composant l'atmosphère);
la notion d'observation au méridien n'a plus de sens ici. Une
observation peut durer aussi longtemps qu'il le faut.
Deuxième avantage, le fait que d'un
même endroit, on ait accès à tout le ciel, à
toute époque de l'année.
Le fait d'être en apesanteur permet également
de s'affranchir de nombreux ennuis secondaires dont nous n'avons pas
parlé, tels que les déformations des structures métalliques
qui limitent, elles aussi, les performances des très grands instruments.
Enfin, le fait d'être dans un vide parfait
à aussi de nombreux avantages vis-à-vis des problèmes
d'oxydation des composants de toute nature. Les équipements ont
une espérance de vie très grande.
Mais il y a aussi de graves reproches.
Le premier est, à coup sûr, le
coût d'un tel instrument. Nombreux sont ceux qui pensent que ce
sera le seul et unique télescope de ce type. Or on ne fait pas
d'astronomie avec un seul télescope.
Le manque de souplesse d'utilisation. Ce télescope
fonctionne sur un programme précis établi à l'avance.
Il est en effet indispensable de minimiser au maximum les dépointages
de l'instrument. Dans l'espace, tout dépointage se fait au moyen
de rétrofusées qui consomment du gaz dont on comprendra
facilement que la quantité soit forcément limitée.
Si l'on peut imaginer un dépointage non programmé pour
observer un phénomène non prévu, ce mode de fonctionnement
ne peut être qu'exceptionnel.
Pour les d'observations 'à la limite'
ou nécessitant des décisions 'sur le tas', rien ne remplace
la présence d'une personne. A de telles circonstances, le télescope
spatial est mal adapté.
Enfin, ce ne sera jamais un télescope
à tout faire. Combien de travaux importants et ne nécessitant
pas de grands moyens d'observation seraient sacrifiés sans les
télescopes au sol.
Donc quels que soient les avantages réels
et irremplaçables de ce télescope, il ne peut être
question d'abandonner l'effort de développement aussi bien de
nouveaux équipements, que de nouvelles générations
de collecteurs. Les Américains, eux-mêmes, l'ont bien compris
qui ne cessent d'imaginer de nouveaux instruments.
Loïc Vapillon